Manifest V3, ou comment Google compte tuer les bloqueurs de pubs


Si ce nom ne vous dit pas grand chose, c’est normal. En effet, à moins que vous n’ayez déjà eu à développer des solutions d’extensions sur Chromium, vous n’avez probablement jamais eu à faire à celui-ci. Enfin si, mais sans le savoir.

En effet, Manifest est le nom donné à l’API (Interface de programmation d’application) permettant aux extensions en tout genre (bloqueurs de pubs, gestionnaires de mots de passe…) de « discuter » avec tous les navigateurs basés sur Chromium: Chrome, évidemment, mais aussi Opera, Brave, Edge, et plus encore.

Concrètement, Manifest agit comme une couche intermédiaire entre l’extension et le navigateur, permettant le développement d’extensions qui pourront altérer le comportement de ce dernier.

Mais voilà, alors que l’adoption de la nouvelle version de Manifest, la V3, est en cours, c’est bien l’abandon de la V2, qui ne serait plus supportée d’ici quelques mois, qui pose question.

Vous connaissez, et utilisez même peut-être AdBlock Plus – de loin le plus populaire des bloqueurs de pubs. Mais saviez vous qu’il a été en partie financé – au moins à une époque – par…des publicitaires (dont Google). La raison ? En échange de cet argent, l’extension se montre plus permissive avec les pubs des entreprises concernées. Encore plus fou ? L’entreprise Adblock vend…de la pub. En effet, l’entreprise propose ses services aux annonceurs, dont la publicité ne sera alors pas filtré par l’extension, à moins que l’utilisateur final ne décoche la case – bien cachée – qui autorise les pubs dites « discrètes ». Derrière ces pubs « discrètes » se cachent donc en réalité les pubs…de votre bloqueur de pubs. Astucieux.

Lorsqu’elles ont fuité, ces pratiques ont été perçues comme une véritable trahison par les utilisateurs d’AdBlock, qui a vu sa réputation lourdement entachée. Aujourd’hui d’ailleurs, je vous conseille plutôt de vous tourner vers uBlock Origin, une alternative open-source très efficace développée par des bénévoles acharnés.

Mais Google ne voit pas d’un très bon œil ces insoumis. Il y a quelques mois, le géant a même franchi un nouveau cap en bloquant l’accès à youtube à quiconque tentait d’y accéder accompagné d’un bloqueur de publicités, invitant les utilisateurs à…s’abonner à YouTube premium. S’en est suivie une bataille épique entre Google et les équipes d’uBlock, qui en sont d’ailleurs ressorties triomphantes. Pour combien de temps ?

Quand vos bloqueurs se font…bloquer.

On y arrive. L’API Manifest V3, introduite en 2021, ne se contente pas d’être une version « modernisée » de la V2, mais intègre tout un tas de nouvelles restrictions.

Parmi elles, on compte notamment la limite du nombre de règles autorisées à 30 000. Et c’est elle qui va poser de loin les plus gros problèmes aux bloqueurs de publicités.

En effet, pour différencier les pubs du contenu de la page en lui-même, tout bloqueur s’appuie sur une quantité astronomique de règles, afin de savoir si les requêtes correspondent ou non à des publicités. À titre d’exemple, uBlock origin ne compte pas moins de 300 000 règles, bien loin donc des restrictions mises en place.

Si Google justifie ces restrictions par une volonté d’améliorer la sécurité et la performance des extensions, il reste assez difficile à croire qu’aucune autre motivation ne se cache derrière une telle politique.

Si les versions les plus récentes de Chromium et ses dérivés permettent encore le support de la V2, Google a annoncé – après avoir repoussé l’échéance à de nombreuses reprises – que la V2 serait obsolète à compter de mi 2024, tout prochainement donc.

De telles décisions ont provoqué une levée de boucliers de la part de développeurs et d’associations, qui les considèrent comme une menace importante pour la vie privée des utilisateurs.

Rangez cette carte bancaire, vous n’allez pas tout de suite avoir besoin de payer 11 euros par mois pour voir des vidéos de chats sans pubs. En effet, bien que la transition vers Manifest V3 représente un vrai défi pour les bloqueurs de pubs, plusieurs navigateurs, tels que Brave ou Vivaldi, ont déjà annoncés ne pas avoir prévu d’abandonner le support de la V2.

De plus, tous les navigateurs ne sont pas basés sur Chromium. Firefox, qui dispose de son propre moteur de rendu intitulé Gecko, supporte également l’API de Google afin de simplifier la vie aux développeurs, mais n’est en aucun cas tenue à suivre la même trajectoire que le géant de la tech. Mozilla a ainsi choisi une approche très spécifique afin de contenter le plus grand nombre. Si Manifest 3 sera également supportée, il s’agira d’une version légèrement altérée, permettant aux bloqueurs de pubs de faire leur travail, sans limite de règles. Un monde idéal, duquel Firefox espère probablement grapiller quelques utilisateurs à Google Chrome.

Et c’est bien là le problème: avec moins de 3% de part de marché pour Firefox, plus de 65% pour Google Chrome, et quelques miettes pour les autres navigateurs cités ci-dessus, la majorité des utilisateurs risquent de subir tout ça, sans chercher des solutions alternatives: les habitudes sont dures à changer.

Finalement, ce sont les usagers de produits Apple qui s’en sortent le mieux. Ces derniers sont en grande partie habitués à utiliser Safari et son moteur de rendu WebKit, sur lequel la fin de support de manifest V2 n’est pas à l’ordre du jour.

AdBlock, l’éditeur du célèbre et controversé AdBlock Plus, a d’ailleurs annoncé dans son blog travailler sur une version de son extension adaptée à la nouvelle version de l’API. Il mentionne, par exemple, que le nombre de listes de filtrage activables simultanément par l’utilisateur sera désormais limité à 50, dû aux nouvelles limitations détaillées plus haut. Même si AdBlock garantit le contraire, on se doute bien que ces nouvelles limitations vont avoir un impact significatif sur l’efficacité de son extension…

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